Religion
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  • Dernière édition : 12 jan. 2021

La peur de l'inenfer

La peur de l’enfer a été, et est encore pour certains dévots, le principal levier de la religion pour pousser les humains à garder la foi et l’amour envers Dieu. Car comme le dit Saint Alphonse de Liguori dans ses «Oeuvres Ascétiques» : « On voit la plupart des hommes se livrer à la damnation éternelle plutôt que d’aimer Dieu ; qui donc, je le répète, s’il n’y avait pas d’enfer, qui L’aimerait? Ainsi, le Seigneur a menacé d’un supplice éternel quiconque refuse de L’aimer, afin que ceux qui ne L’aiment pas de leur bon gré L’aiment au moins de force, par crainte de l’enfer ». CQFD.

Mais ce qui est plus insolite, c’est la «peur de l’inenfer ». Cette hantise qu’ont bon nombre de croyants, à l’idée que l’enfer pourrait être vide ou inexistant. Attention, il s’agit là de piété de haut vol, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut une admirable proximité complice avec Dieu, pour ressentir ainsi le besoin irrépressible de bénir la malédiction d’autrui.

Par exemple, Jacques Fesch, illustre assassin de policier guillotiné en 1957, avait, pendant sa courte mais intense vie de foi finale, défendu avec âpreté la possibilité d’aller en enfer. Bien évidemment, si Dieu avait décrété bibliquement qu’un homicide ne pouvait pas être pardonné, « ni dans ce siècle ni dans le suivant », notre bon larron national aurait écrit ses réflexions d’une main plus incertaine.

On peut aussi citer la haine dont sont la cible les théologiens qui, à la façon de Urs Von Balthasar, émettent des pensées frisant l’hérésie sur la Bonté de Dieu et, par déduction, le Salut de Tous. C’est à des livres entiers de réfutation que ces thèses modernes, trop humanistes et optimistes, se voient confrontées. Les opposants se chargent de remettre au goût du jour des concepts - paraît-il - bien trop délaissés : la sainte Crainte de Dieu et de Sa Colère, la terreur de l’enfer, la condamnation sans appel de tel ou tel type de vice…

L’annexe sur l’enfer, dans mon livre «Les deux vis­ages du chris­ti­an­isme», cite quelques exemples de la fougue qui étreint les pieux, lorsque l’on tente de leur ravir ou d’atténuer leur enfer ; par exemple les ruades de Pierre Gabarra en réaction à la théologie “dénaturée” (car trop optimiste) du père André Fossion - ruades que l’on peut retrouver en ligne sur le blog “Hermas”.

Mais on se doit de remarquer l’œuvre de Guy Pagès, avec son livre « Judas est en enfer » (Editions Guibert). À force de méditer sur la lamentable destinée du “traître”, sur ses remords incommensurables et sur son suicide, l’humanité avait fini par voir en lui un humain pêcheur et faillible; aussi imparfait que ses congénères, et donc sujet à grande miséricorde et grand rachat. Mais que nenni, comme le dit M. Pagès, « Si Judas est en Paradis, alors qui n’y sera pas ? ». Perspective scandaleuse, qui se règle donc par l’inévitable damnation du triste sire. Et le brave prêcheur de rappeler : « [Si Judas n’est pas damné] Il n’y a donc pas tant de soucis à vous faire pour votre salut ! Continuez à pécher braves gens, le diable s’occupe de tout ! ».

Guy Pagès explicite ici une étrange intuition que bien des justes et des mystiques, à l’image de Saint Alphonse de Liguori, ont eue : le fondement de la morale religieuse, ce ne serait pas la sensibilité des êtres, ni l’empathie fraternelle, ni l’intelligence de la vie harmonieuse en société, mais uniquement la crainte du châtiment; et réciproquement « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » (Dostoïevski).

Le problème de cette approche éthique, qui rejette la rationalité au profit des menaces (supposées) d’une entité d’outre-monde, c’est que plus rien n’est prévisible. Certains monothéistes doivent se priver de charcuterie, de vin ou de musique - voire d’eau - mais peuvent lapider leurs femmes ; d’autres n’osent pas allumer la lumière un samedi, mais obligent aux mutilations génitales et justifient les génocides bibliques ; d’autres se disent pro-vie mais interdisent la transfusion sanguine ; et d’autres bons croyants fondent leur haine de l’homosexualité sur les anathèmes de l’Ancien Testament - anathèmes qui visaient aussi mollusques et crustacés comme autant d’« abominations ».

Comment éviter que les humains ne se posent trop de questions sur ces morales à géométrie variable? Simplement la dissuasion par la peur - la peur de mal agir, la peur de mal penser, la peur - en définitive - de l’enfer. Pour que l’amour et la fidélité des croyants soient obtenus “au moins de force”. Voilà pourquoi tant de mystiques s’agrippent à cette discutable théorie de torture éternelle. Sans ce garde-fou anti-réflexion, c’est l’édifice entier qui peut s’écrouler.

Pascal Bonchamp
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